Discriminations et origines : l’urgence d’agir

Accès aux droits, Insertion sociale et professionnelle, Logement, Analyse des besoins sociaux
Publié le 25 juin 2020
Le Défenseur des Droits a publié un nouveau rapport consacré aux phénomènes de discrimination en raison de l’origine. Vaste travail de synthèse, il permet de comprendre la nature de ces phénomènes de discrimination, de les illustrer par des données chiffrées et des témoignages. Les auteurs appellent à une réponse ambitieuse de la part de l'Etat et proposent plusieurs pistes d'actions dans de nombreux domaines : emploi, logement, santé, scolarité, accès aux droits et aux loisirs...

Un phénomène massif et protéiforme


L'un des premiers intérêts de ce travail est d'apporter dans un langage clair et synthétique une définition de beaucoup de notions utiles pour caractériser les différentes formes de la discrimination en raison de l'origine : la discrimination ressentie, le harcèlement discriminatoire pratiqué par un individu, la consigne à caractère discriminatoire délivrée par une organisation publique ou privée, les phénomènes de représailles...

Ce rapport intervient également après de nombreuses autres publications du Défenseur des Droits consacrées aux discriminations en France, dont il croise les données avec des observations d'autres organisations (Ministère du Travail, INSEE, INED, CESE, universités et centres de recherche, associations ou collectivités, comme la Ville de Villeurbanne, qui avait mené en 2017 un testing sur les discriminations dans le domaine bancaire).

L'approche conduit le Défenseur des Droits à dénoncer une dimension « systémique » et « banalisée » des phénomènes de discrimination visant les personnes « assignées à une origine différente » en raison de leur nom ou de leur apparence physique. Loin d'être en recul, ces phénomènes semblent malheureusement progresser ces dernières années. Parmi les chiffres cités dans le rapport, on retient par exemple que :

  • les discriminations fondées sur l’origine et la couleur de peau révélées par deux enquêtes INED ont presque doublé entre 2008 (6 % des personnes enquêtées déclaraient en avoir subi) et 2016 (10 % le déclaraient) ;
  • selon une étude de la DARES, les personnes ayant un nom « à consonance arabe », ont besoin d'envoyer trois fois plus de CV que les autres pour obtenir un travail ;
  • les personnes ayant un nom « à consonance arabe » ont 27% de chance en moins d'obtenir un rendez-vous pour un logement et celles avec un nom « à consonance africaine » 32 % en moins ;
  • les hommes perçus comme arabes/maghrébins sont cinq fois plus exposés que les autres hommes à des contrôles fréquents de la part de la police
  • ces phénomènes et les autres réalités dénoncées dans le rapport se heurtent à un non-recours massif des victimes aux procédures judiciaires prévues par la loi : seules 12% des personnes ayant rapporté avoir vécu une discrimination en raison de leur origine dans l’emploi ont porté plainte.

Le Défenseur des Droits accorde une attention à la problématique intersectionnelle des discriminations, notant le caractère cumulatif des discriminations liées à l'origine avec celles liées au genre, à l'orientation sexuelle, à la religion, à l'âge, au lieu de résidence. Il relève notamment que 54 % des femmes de 18 à 44 ans perçues comme « non-blanches » déclarent avoir fait l'expérience de propos et comportements sexistes, racistes, homophobes, liés à la religion, handiphobes ou liés à l’état de santé au travail... contre 11 % des hommes de 35 à 44 ans, perçus comme « blancs ».

Parallèlement à ces réalités pour lesquelles on dispose de données chiffrées, le rapport évoque également des phénomènes plus difficiles à quantifier, tels que :

  • les problématiques de ségrégation spatiale, à travers notamment les regroupements de populations issues de l'immigration dans les « secteurs les moins attractifs », « éloignés des centres-villes » et des « bassins d'emploi » ;
  • les problématiques de ségrégation scolaire qui en découlent, aggravées par les stratégies scolaires de certains parents ;
  • la diffusion des discours stéréotypés et leur conséquence directe au travail ou dans la vie de tous les jours...

Les témoignages sont à ce titre précieux, comme cette citation d'un gérant de discothèque reconnaissant avoir refusé l'entrée à cinq jeunes hommes car « il ne souhaitait pas que l’on dise que c’est une boîte où il n’y a que de la racaille ».


Le Covid-19 : une « double peine » pour les personnes discriminées


Réagissant à chaud à l'épidémie de coronavirus, les auteurs rappellent que de trop nombreux adultes et enfants perçus comme d'origine asiatique ont vécu des insultes, des agressions ou des phénomènes de harcèlement suite à la diffusion de l'épidémie dans les pays d'Asie du Sud-Est. Durant le confinement, ils dénoncent également les discours présents sur les réseaux sociaux et dans certains médias qui présentaient les habitants de quartiers populaires, comme davantage « indisciplinés » face au respect des consignes sanitaires.
 
Confrontés à des phénomènes de désertification médicale, de densité de population plus importante dans des logements parfois surpeuplés et/ou dégradés, plus souvent « en première ligne » dans leur travail... les habitants de ces quartiers ont également été confrontés à une « surexposition au risque sanitaire et à la maladie » , note le Défenseur des Droits, ajoutant que « cette crise n’a fait qu’amplifier une réalité trop souvent ignorée ou minimisée. Les discriminations fondées sur l’origine restent massives en France et affectent la vie quotidienne et les parcours de millions d’individus, mettant en cause leurs trajectoires de vies et leurs droits les plus fondamentaux ».

L'urgence d'agir : mais comment ?


Pour combattre ces phénomènes, le Défenseur des Droits revient sur les politiques publiques récentes qui ont, de son point de vue, insuffisamment visé les discriminations en tant que telles, les « cantonnant progressivement à la politique de la ville », au profit de paradigmes différents, tels que la promotion de la diversité, ou encore les enjeux de sécurité, de laïcité et de lutte contre la haine.

Prenant l'exemple de la cause de l'égalité entre les femmes et les hommes, les auteurs appellent au contraire à déployer à l'échelle nationale une politique prioritaire ambitieuse, qu'ils illustrent par de nombreuses propositions d'actions :

  • la création d'un observatoire des discriminations fondées sur l'origine, s'appuyant sur les données de la statistique publique, sur des campagnes de testing nationales (portant sur l'accès au logement, à l'emploi, aux biens et services...) et sur des indicateurs non-financiers publiés par les employeurs
  • l'obligation pour les employeurs publics et privés de se doter de plans d'action contre ces discriminations,
  • une réforme des textes encadrant les contrôles d'identité,
  • une réforme des procédures pénales, permettant un recours facilité aux présomptions de fait en matière de lutte contre les discriminations, et la mise en œuvre d'actions de groupe, notamment de la part des acteurs associatifs,
  • l'application effective de sanctions « proportionnées », « dissuasives » et « punitives » dans le cas de discriminations directes ou de harcèlement,
  • un soutien renforcé au secteur associatif dans la lutte contre les discriminations.


Algorithmes et discriminations : conserver une maîtrise de l'intelligence artificielle


Cette publication du Défenseur des Droits fait suite à un autre rapport publié en mai 2020 en partenariat avec la CNIL, dans lequel l'institution analysait les biais discriminatoires susceptibles d'affecter les algorithmes informatiques. De plus en plus utilisés dans les domaines de l’accès aux prestations sociales, du recrutement, de la police et de la justice, voire de la santé, ces systèmes sont exposés à deux types de risques :
 
• lors de leur conception, du fait des représentations de leurs concepteurs,
 
• lors de leur déploiement, du fait des systèmes d'auto-apprentissage des intelligences artificielles, s'appuyant sur les requêtes des utilisateurs et tendant à avaliser leurs représentations discriminatoires en leur donnant une nouvelle réalité.
 
Les auteurs donnent de multiples exemples de ces risques : faible visibilité des candidats à certains postes en raison de leur origine ou de leur quartier d'habitation, proposition d'emplois sous-qualifiés en raison de critères discriminatoires fondés sur le sexe ou sur une mauvaise perception des études effectuées, désignation dans les systèmes d'information policiers de quartiers défavorisés comme zones présentant des risques d'infraction supérieure... Ils montrent également l'effet pervers et « auto-réalisateur » de ces biais : plus une zone est présentée comme présentant des risques d'infraction, plus des contrôles y sont effectués, plus des infractions y sont constatées, plus les discriminations y sont importantes...
 
Face à ce domaine encore insuffisamment connu, le Défenseur des Droits préconise un renforcement des obligations légales des éditeurs et des utilisateurs, une meilleure formation au risque discriminatoire des professionnels concevant et utilisant ces systèmes, un développement de la recherche, s'appuyant sur des études d'impact permettant de mesurer avec précision le phénomène.

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