De la culture du jardin au jardin des cultures

Publié le 1 janvier 2011

Elements clés

Contexte

L’idée du jardin est née lors d’une discussion informelle au « coin café » de l’épicerie sociale du CESAM (Centre d’Economie Sociale et d’Aide Municipale) réunissant une dizaine de personnes âgées. La discussion portait sur un sujet récurrent à l’épicerie sociale : l’importance de « bien » se nourrir (quantitativement et qualitativement) tout en prenant en compte les moyens financiers de chacun. Un bénéficiaire est intervenu avec humour et a annoncé : « et si on faisait un petit potager ! ». Très vite, un petit groupe de volontaires, accompagné par l’animateur du CCAS, s’est emparé de cette idée pour relever le défi et monter un véritable projet.  2011 a été une année test.

 

Au fil du temps, le jardin collectif est devenu un lieu de lien social, culturel et intergénérationnel fort. En 2012, les promoteurs du projet ont cerné d’autres besoins touchant de près ou de loin à l’activité jardinage. Cette « analyse des besoins » a été faite de manière empirique, sur la base des échanges spontanés  entre les uns et les autres et à partir de constatations de bon sens basées sur la vie de tous les jours. Divers thèmes ont été régulièrement abordés avec des mots souvent simples mais porteurs de sens : la limitation des ressources (eau, énergie, ressources financières…) ; le sentiment d’isolement ; la diminution, avec l’âge, des capacités intellectuelles et physiques ; la détérioration de l’environnement ; le manque de convivialité et de solidarité dans la société actuelle ; l’absence de communication entre générations… L’animateur a organisé, de façon informelle, des réunions trimestrielles, ouvertes à l’ensemble des jardiniers, sans restriction d’âge, de sexe, de professions…et qui ont permis, une fois encore de passer d’un constat à une action, d’où l’émergence d’une sorte de plate-forme de microprojets. Ce projet s’inscrit dans l’agenda 21 de la ville de Creil – ville aux 107 nationalités.

Description


Présentation de l'action


Mise en place d’une plateforme de microprojets (jardinage, bricolage, cuisine, marche santé…) s’inscrivant dans la démarche du développement durable, gérée par les bénéficiaires eux-mêmes et axée sur l’intergénérationnel et la mixité sociale.

Pour chaque action, le même mode opératoire est mis en œuvre, il repose sur une co-élaboration permettant le mélange des expériences et connaissances de chacun :

  • Un constat partant d’un dysfonctionnement social et établi par les « utilisateurs »  des prestations du CCAS ;
  • La constitution d’un groupe-projet restreint constitué d’usagers et « guidé » par un ou des agents du CCAS pour rechercher des éléments de solutions ;
  • Le choix d’un axe de travail ;
  • La définition succincte des étapes à réaliser pour passer de l’idée au concret ;
  • L’appui des professionnels concernés afin de rendre l’action réalisable ;
  • La mise en place de l’action ;
  • Un suivi régulier par la prise en compte de la parole de l’autre  d’où une auto-analyse permettant un ajustement permanent de l’action (processus d’évaluation simple mais itératif et performant).   

Côté jardin, les cultivateurs se retrouvent une fois par semaine, les mercredis après-midi, seuls ou avec les enfants, pour semer, planter, désherber, cueillir ou tout simplement se détendre près du jardin. Un calendrier des travaux annuels de jardinage à réaliser a été élaboré en fonction des besoins, capacités et souhaits des participants.

 

Dans le cadre d’ « ateliers bricolage », des jardinières surélevées ont été installées afin de permettre aux personnes âgées en perte d’autonomie de jardiner en position assise. Ces équipements ont été construits avec des matériaux de récupération.

 

En partenariat avec la Communauté d’Agglomération Creilloise, les résidences personnes âgées ont été équipées de composteurs collectifs ; cette action s’est doublée de réunions d’information sur le tri des déchets.

 

Des visites de la Recyclerie et du Centre de valorisation énergétique du Syndicat Mixte de la Vallée de l’Oise sont régulièrement proposées (une recyclerie a pour objectif de donner une seconde vie aux meubles et électroménagers déposés en déchetterie, et de les revendre à bas prix).

 

Par ailleurs, des campagnes de sensibilisation autour des économies d’énergie sont organisées et, pour inciter les usagers à appliquer les règles fixées, le CCAS a acheté pour les 150 logements des résidences personnes âgées des ampoules basse consommation et des économiseurs d’eau pour robinets.

 

Au sein de l’épicerie sociale, les légumes et aromates du jardin sont utilisés pour confectionner des plats dans le cadre des ateliers culinaires qui ont lieu une fois par semaine grâce à l’intervention d’une conseillère en économie sociale et familiale. Là encore, les richesses de chacun sont exploitées pour réfléchir aux questions qui se posent : calcul du coût du repas, valeur nutritionnelle des denrées, suivi de régimes spécifiques, alimentation du jeune enfant…

 

Des « pique-nique solidaires » suivis d’un après-midi convivial autour du jardin sont organisés l’été. Cela favorise les rencontres et échanges d’expériences avec les cultivateurs des jardins familiaux de Creil et des jardins des partenaires associatifs.

 

Les bénéficiaires du CCAS sont également conviés à participer à des « marches santé » rassemblant jusqu’à 100 personnes, mises en place  en collaboration avec huit partenaires associatifs et institutionnels creillois et permettant de sensibiliser à la pratique d’une activité physique et à l’équilibre alimentaire comme facteur de bonne santé physique et mentale.


Moyens


Moyens humains

  • L’animateur social du CCAS impliqué directement dans l’action ainsi que l’ensemble du personnel du CCAS (environ 50 agents) en tant que vecteur d’information auprès des publics reçus mais aussi en tant qu’appui technique pour certaines actions (CESF, coordinateur santé, psychologues…).
  • Les agents des espaces verts de la Ville de Creil pour leur expertise et leurs conseils.  

Moyens matériels

  • Matériel de jardinage et plants (tuteurs, binettes, raphia, plants, graines…).
  • Alimentation lors des gouters, marches santés… 
  • Matériel de bricolage et matériaux. 
  • Cuisine équipée de l’épicerie sociale, ustensiles, ingrédients.  

Moyens financiers

  • Budget annuel : 6 000 € (autofinancement du CCAS).
  • Mutualisation des moyens Ville/CCAS sur certaines dépenses (communication, fournitures administratives, transport, énergie…) .

Partenaires opérationnels


Travail partenarial très important sur l’ensemble des actions, aussi bien en interne au CCAS de Creil qu’avec l’ensemble des services de la municipalité mais également avec les associations œuvrant sur le territoire communal :

  •  Nombreux services de la Ville (espaces verts, citoyenneté, développement durable, évaluation des politiques publiques…)
  • L’épicerie sociale du CCAS (CESAM)
  • La communauté d’agglomération creilloise
  • De nombreuses associations creilloises (Centre social Brassens, GEM Oisis, Compagnons des Marais, ADARS, Vacances et familles 60, Interm’aide…).

Bilan

Les quatre piliers fondamentaux du développement durable constituent les fils conducteurs de l’action :

 

Le social : le fait d’ « autoriser » les bénéficiaires à être responsables du montage et de la réalisation des projets, a engendré  une mobilisation spontanée de chacun.  Un lien fort s’est tissé entre les seniors et les plus jeunes, un sentiment de réussite, fruit d’une implication collective, s’est crée jour après jour autour du projet jardin et des autres projets qui en ont découlé. Encourager les participants à une prise de décision, et donc à une prise de responsabilité, a renforcé les liens aux plans intergénérationnel, interculturel et social, chacun apportant selon sa situation sociale, culturelle, géographique, familiale… ses propres richesses.

 

L’environnemental : outre  le respect de la terre, des plantations, de la santé des cultivateurs et consommateurs des produits, le projet permet de mettre à jour les compétences des « anciens » et de bénéficier très rapidement des fruits du travail accompli, notamment lors des 1ères récoltes. Les personnes sont ainsi valorisées ce qui les incite à poursuivre la démarche dans tous les domaines de la vie quotidienne.

 

L’économique : le budget affecté à l’action est relativement restreint. De plus, comparativement à des projets plus ambitieux, le « retour sur investissement » est à la fois rapide, solide et durable puisque renouvelable chaque année (sous réserve de rassembler quelques volontaires). Les participants peuvent apprendre ou réapprendre de nouvelles pratiques culinaires en rapport avec leurs capacités financières par le calcul du coût des plats confectionnés lors des ateliers cuisine à l’épicerie sociale, grâce aux légumes et fruits du jardin. L’économie a également été le mot d’ordre concernant l’eau, par le biais d’un arrosage raisonné, toujours dans une optique de gestion durable de l’exploitation de la terre.

 

Le participatif : la concertation constitue la ligne directrice pour l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi de l’ensemble des microprojets.

 

La principale difficulté tient à la charge de travail induite en préalable et en parallèle aux divers projets. En effet, pour que les actions se déroulent avec fluidité, un travail conséquent (non visible mais chronophage)  est mené par l’animateur social en termes organisationnels, mais aussi pour sensibiliser, mobiliser et coordonner les partenaires. De plus, il y a toujours quelques personnes qui, confrontées à leurs difficultés personnelles, abandonnent. Si la liberté de chacun est bien évidemment respectée, il n’empêche que les tentatives pour relancer et remotiver les plus fragiles sont nécessaires même si elles n’aboutissent pas toujours positivement.

 

Il est à noter ici que c’est d’autant plus vrai pour les seniors qui, quasi systématiquement, demandent à être transportés sur le lieu des activités. Il y a là un frein à la mobilité relativement fort et sur lequel les animateurs cherchent à agir (incitation au covoiturage, utilisation des bus urbains pour ceux qui en ont la capacité, marche à pied…).

 

De fait, l’action jardin a attiré « naturellement » les publics les plus âgés et a permis d’aborder, à partir des préoccupations de la vie quotidienne, d’autres thèmes tels que l’alimentation, le bien-être, la santé, l’environnement… et ce principalement en raison de la place laissée à l’initiative individuelle et collective. En effet, si un soutien technique est systématiquement offert, les actions sont choisies et mises en œuvre par les participants eux-mêmes tout en intégrant un partenariat fort avec les associations et institutions locales agissant dans le domaine du développement durable, de la santé et de l’insertion sociale.

Observations

L’action « De la culture du jardin au jardin des cultures » est réellement un succès pour les publics et agents du CCAS.

 

Tout d’abord, elle répond à un frein important en matière sociale, à savoir, la difficile mobilisation des publics, et plus spécifiquement les seniors. Souvent, les professionnels s’interrogent sur la ou les réponse(s) à apporter aux difficultés de vie des personnes qu’ils accompagnent. Ainsi, nombre d’ateliers, de sorties, d’activités… sont mis en place pour constater, le moment venu, que les intéressés n’adhèrent pas ! Pour l’action « jardin », l’idée et les modalités pratiques ont été pensées par et pour les bénéficiaires d’où une bonne mobilisation.

 

Ensuite, peu de compétences sont nécessaires : dans un 1er temps, seule  la préparation et le respect de rythme de la terre et des plantations est primordial. Cela s’apprend aisément et permet une prise de conscience sur l’intérêt de respecter son environnement, mais aussi de se respecter et de respecter autrui. Une personne remise en confiance par un retour à la nature et la pratique d’une activité simple et ancestrale est mieux armée pour rebondir face à des situations de crise. En outre, les personnes âgées ont en général une bonne maîtrise du jardinage et peuvent ainsi apporter toute leur expertise aux autres participants.

 

Enfin, l’innovation, socle du développement social durable, réside souvent en une sorte de « retour aux sources ». Pour les personnes âgées, isolées, exclues, diminuées physiquement ou moralement, fragilisées, parfois broyées par la crise économique et financière, participer à une activité collective créatrice, le  jardinage, peut s’avérer tout à fait  novateur et porteur d’un véritable mieux être. Le succès d’une telle action réside aussi dans la coopération, le partage,  l’échange de savoirs et l’implication d’un groupe (d’autant plus qu’il s’agit d’un groupe à géométrie variable) sur le long terme dans une perspective durable de développement social.

Finalement, cette action est tout à fait transposable dans d’autres structures, autres lieux, sous réserve de l’adapter en fonction des publics (handicap, âge…), des intervenants et des territoires concernés.

Il faut particulièrement être vigilant à la composition des groupes-projets et estimer au mieux l’implication que chacun pourra apporter de façon régulière et sur le long terme. Aussi, il est préférable de commencer par une petite surface de culture la première année afin de ne pas se retrouver face une épreuve lors de chaque rendez-vous au jardin, ce qui pourrait être vécu comme un échec.

Photo : Wikimedia Commons / P.poschadel

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