Alors que l’Unccas, impliquée depuis 2018 dans les échanges relatifs à la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, alertait encore récemment l’opinion et les acteurs sur l’ampleur de la précarité des jeunes dans le contexte de la crise sanitaire, un rapport d’étape a été publié le 2 avril dernier par le comité d’évaluation. Observant l’avancée des 21 mesures prévues par la stratégie, il constate des retards et s’accompagne de recommandations.
Les objectifs de la stratégie
Les mesures de la stratégie portent principalement sur :
- un développement de l’accueil du jeune enfant sur le territoire par la création de nouvelles places en crèches afin de réduire les inégalités territoriales ;
- un plan de formation et un nouveau référentiel pour les professionnels de la petite enfance afin de favoriser le développement de l’enfant et l’apprentissage du langage avant l’entrée à l’école maternelle ;
- un renforcement de l’accompagnement à la parentalité ;
- un accès à une alimentation équilibrée à travers une éducation alimentaire associant les parents, à des petits déjeuners complets, et la mise en œuvre de tarifs de cantine accessibles à toutes les familles dans les petites communes fragiles ;
- des moyens éducatifs renforcés dans les territoires fragiles reposant sur une instruction obligatoire dès 3 ans et un dédoublement des classes de CP/CE1 en REP et REP + ;
- une obligation de formation jusqu’à 18 ans ;
- un accompagnement vers l’emploi des jeunes, en complément d’une extension de la Garantie jeune, par l’essaimage d’expérimentations évaluées positivement pour les personnes les plus fragiles, en particulier « Territoires zéro chômeurs de longue durée » ;
- la fin des sorties sans solutions de l’aide sociale à l’enfance (ASE) lors de la majorité des jeunes, grâce à une protection offerte par les départements et les dispositifs de droit commun de l’État ;
- la garantie, pour chacun, de l’accès à une complémentaire santé, en intégrant l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé dans la couverture maladie universelle complémentaire.
Des retards dans la mise en œuvre de la stratégie
Le Comité d’évaluation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté constate des retards dans la mise en œuvre de la stratégie.
A ce jour, seules quatre mesures ont été mises en œuvre intégralement :
- la revalorisation de la prime d’activité (qui aurait eu un impact fort sur le taux de pauvreté, en le faisant reculer de 0,7 points entre 2018 et 2019) ;
- la mise sur pied de la complémentaire santé solidaire (CSS) ;
- le renouvellement de la complémentaire santé solidaire pour les allocataires du revenu de solidarité active (RSA) ;
- le déploiement de 400 Points conseil budget (PCB).
Une mise en œuvre contrastée selon les territoires et difficile à évaluer
Le rapport met en avant un état d’avancement des mesures très inégal. Il constate que « la grande majorité des mesures ont été lancées, même s’il y a des retards sur certaines, en partie liés à la crise du coronavirus et au fait que les administrations centrales, déconcentrées et locales ont dû gérer la crise en priorité, et sont parfois encore en train de le faire ».
Ce qui après trois ans après du lancement du dispositif complexifie l’évaluation des effets des mesures...
Les recommandations du comité
Formulant dix recommandations, le comité souhaite notamment attirer l’attention des pouvoirs publics sur les points de vigilance suivants :
- Mieux comprendre et mieux suivre l’évolution de la grande pauvreté : « Il convient de mieux connaître et de mieux mesurer la grande pauvreté, que le gouvernement français s’est engagé à faire disparaître d’ici 2030. Pour cela, il est indispensable d’avoir un indicateur validé par l’Insee. Cet indicateur pourrait, par exemple, associer une dimension monétaire avec des ressources inférieures à 50 % du niveau de vie médian et une pauvreté matérielle et sociale définie par au moins sept privations sur une liste de treize. Un tel indicateur, même s’il ne permettrait pas de prendre en compte des dimensions non mesurables de la pauvreté, serait une avancée importante ».
- Lutter contre les effets sur la pauvreté de la crise du coronavirus : « La crise sanitaire du coronavirus a et aura des conséquences économiques et sociales très importantes. Le gouvernement a mis en place depuis mars 2020 des mesures pour éviter que les gens ne tombent dans la pauvreté (par exemple les mesures de chômage partiel). Lorsque les dispositifs d’aide en place seront arrêtés, on s’attend à voir basculer dans la pauvreté une part importante de ceux qui en bénéficient actuellement. Le comité appelle à une vigilance toute particulière pour limiter la forte augmentation de la pauvreté qui pourrait en résulter, ainsi que pour garantir que ceux qui tomberont dans la pauvreté en sortiront rapidement. Il faut dans le même temps s’attaquer à la pauvreté durable, pour que ceux qui sont déjà en situation de pauvreté puissent en sortir ».
- Tendre vers le zéro non-recours : « On estime qu’environ une personne sur trois qui a droit à des prestations sociales n’en bénéficie pas (Eurofound, 2015). Avec la question du non-recours se pose la question de l’efficacité des politiques publiques de lutte contre la pauvreté. Pour y remédier, il faut identifier les dispositifs qui fonctionnent et les généraliser. Cela passe par l’évaluation systématique de l’efficacité des politiques d’accès aux droits et par la capacité de mesurer le non-recours ».
- Mettre en place un système d’aide pour les jeunes de 18 à 24 ans les plus démunis : « La situation des jeunes est très préoccupante. Le système socio-fiscal actuel rend les étudiants, les jeunes en emploi peu rémunéré et à plus forte raison les jeunes NEET dépendant des aides familiales et des revenus du travail souvent précaires, avec des effets délétères et potentiellement persistants sur leur parcours éducatif ou professionnel ».
- Évaluer l’efficacité de l’accompagnement dans sa globalité : « L’accompagnement est au cœur de la Stratégie. L’effet de l’accompagnement sur les parcours individuels vers l’emploi s’avère globalement positif mais dépend de la nature de l’accompagnement proposé, du public et de son éloignement vis-à-vis de l’emploi. On constate aussi que son effet pur sur le niveau global de retour à l’emploi n’est pas établi du fait de l’existence d’un effet dit « de file d’attente » (effet d’échanges de places dans la file d’attente plutôt qu’une amélioration globale des processus d’insertion) révélé par des évaluations d’impact scientifiques. Par ailleurs, on a tendance à considérer l’effet de l’accompagnement uniquement à l’aune de son objectif de retour à l’emploi, même si les parcours de formation ou l’objectif d’autonomie ont été ajoutés dans les dispositifs de création récente comme la Garantie jeunes. Il est pourtant essentiel de bien prendre en compte l’ensemble des effets potentiels d’un accompagnement. Il est dès lors essentiel d’évaluer l’efficacité de l’accompagnement, qui est au cœur de la Stratégie au regard de deux préoccupations : ─ son effet en matière d’accès à l’emploi de ses bénéficiaires et sur le niveau global de retour à l’emploi d’une part ; ─ ses effets autres que sur le retour à l’emploi, notamment en matière d’accès aux droits et effets psycho-sociaux pour ses bénéficiaires d’autre part ».
- Mettre en œuvre pleinement le plan quinquennal Logement d’abord : « Le logement est un thème essentiel dans la lutte contre la pauvreté. Alors que la France dispose de l’un des parcs de logements sociaux les plus importants d’Europe, les associations constatent que le logement est aujourd’hui très peu accessible aux ménages les plus précaires. La mise en œuvre du plan Logement d’abord doit changer d’échelle ».